8/10Le bleu est une couleur chaude

/ Critique - écrit par athanagor, le 03/05/2010
Notre verdict : 8/10 - Les bleus à l'âme (Fiche technique)

Au-delà de la simple histoire d'amour ou de la fable sur la tolérance, cet ouvrage est l'histoire complète et complexe d'un être dont la fragilité se heurtera toujours au monde.

C'est après avoir enterré son amante, Clémentine, qu'Emma se rend chez les parents de cette dernière pour lire les carnets secrets laissés par la défunte. Elle y découvrira l'histoire de cette jeune lycéenne, la découverte de sa sexualité et les difficultés qu'elle a dû traverser pour s'affirmer. Elle s'y retrouvera aussi elle-même, elle qui l'éveilla à son identité, qui hanta ses nuits bien avant de l'avoir rencontré, et aussi leur histoire commune, d'autant plus évidente que sa naissance fût difficile et son existence chaotique.

Au-delà de l'histoire d'amour et de la fable sur l'homosexualité, cette BD de Julie Maroh est véritablement un moment de poésie quotidienne. L'histoire de Clémentine, découvrant ses sentiments et le but de ses pulsions, en désaccord avec tout ce que le monde qui l'entoure lui a toujours appris, est superbement amenée par le biais de la lecture de ses carnets par Emma. Ainsi, c'est la force évocatrice des sentiments qui l'emporte sur le sujet, l'émotion qu'on imagine que le personnage ressent à lire, dans les mots de son amour, les descriptions de sa propre personne, jusqu'à imaginer qu'elle doute d'en être digne. Ce sera pourtant elle le phare de l'existence de Clémentine, avec ses cheveux bleus des premiers temps, qui seront une lueur d'espoir dans la grisaille de ce monde trop souvent hostile.

C'est le magnifique tour de force de l'auteure de parvenir ici à se dégager d'un aspect revendicatif par trop prégnant, en mettant l'accent sur la force des sentiments, qu'ils soient suggérés par le biais de la mise en scène, ou illustrés par les évocations frappantes de l'impact violent des passions sur le corps. Ainsi, le cœur qui cogne, le sexe qui brûle, la douleur qui fait perdre l'équilibre, sont clairement représentés au moyen d'artifices graphiques ou de postures, et immédiatement reconnus pour ce qu'ils sont, car tout le monde a eu un jour à les gérer. Deuxième élément qui permet à Julie Maroh de sortir d'un discours trop communautaire, c'est la différence d'âge qui existe entre les deux femmes, qui lui permet de mettre en regard de leur sexualité un autre élément généralement mal accepté. Et même si cette différence n'est pas énorme, elle reste un élément suspect par rapport à ce
que le groupe considère comme « normal ». Aménageant ainsi son histoire, elle semble ne pas vouloir se positionner sur autre chose que sur le récit d'une passion entre deux êtres, de tout temps promis l'un à l'autre, deux âmes sœurs auquel le destin ne permettra qu'un bonheur relativement fugace.

Cette histoire, cet amour, ainsi exposé, pourrait être celui de n'importe qui d'autre, et c'est ce qui en fait à la fois le plus captivant des récits et le plus efficace des appels à la tolérance. Mais si la magie opère c'est aussi grâce au talent d'illustratrice de l'auteure, qui entraîne l'immersion du lecteur. Les 160 pages sont le long processus au cours duquel on s'attache à Clémentine, l'ayant vu souffrir, rire, aimer et sachant exactement, par le biais du dessin, ce qu'elle ressent à tel ou tel moment. Cette familiarité insidieuse surprendra le lecteur dans les dernières pages, le forçant à un soupir tremblant au moment de son dernier souffle, alors même qu'il sait, dès la première page, que l'héroïne ne sera bientôt plus.

Intime et touchant, cet ouvrage est un vrai moment d'émotion, et disons-le, d'art ; une exposition sincère et juste de sentiments forts et envahissants, qui parvient à surpasser la simple revendication, pour donner à lire l'histoire d'un amour aussi tragique qu'évident.