Berceuse assassine
Bande Dessinée / Critique - écrit par Levendis, le 20/01/2004 (Tags : tome assassine berceuse ralph meyer avis telenko
L'étiquette hard-boiled n'est pas usurpée et on passe un bon moment comme dans une aventure digne d'un Ellery Queen. A découvrir au plus vite.
Berceuse assassine fait partie de ces BD qu'on classerait aisément, si elle était à l'état de roman, dans la section roman noir, très noir même. Le genre d'histoire qui se nourrit du quotidien, de ses travers et cruautés, et qui nous frappe aussi par sa grande justesse. Cette BD, ici, est un puzzle, voire une sorte de décameron, où tous les personnages sont liés, intimement liés, par le destin et, surtout par le malheur. Nous avons donc au fil des trois extraordinaires tomes de cette série un point de vue différent sur une même histoire. Car Berceuse assassine, c'est avant tout trois destins, trois couleurs...
Jaune...
Comme le taxi de Joe Telenko, un homme aigri par la vie et cardiaque de surcroît, qui fait inlassablement son métier à travers les rues de New York et qui constate qu'il a raté sa vie. La raison ? Sa femme Martha, une paraplégique, qu'il est obligé de soutenir mais qu'il considère plus comme un poids que comme une bénédiction. Leur bonheur n'est juste présent, pour lui, que sur les photos jaunies de leur passé. Et à force de ruminer son amertume, il finit un soir par songer à éliminer sa femme ; et l'altercation entre un criminel en fuite et la police va précipiter cette nouvelle résolution. En effet le criminel ayant perdu son arme, Telenko la récupère discrètement et décide de mettre en place son plan. Bien entendu cela ne se passe pas comme il l'aurait souhaité car ne l'oublions pas, nous restons dans une série...
Noire...
Comme la rancoeur de Martha, que nous suivons dans le deuxième tome. Celle-ci ressent, chaque jour, l'hostilité de son mari à qui elle reproche néanmoins son état. En effet elle était à ses côtés lorsque l'accident de la route qui lui a coûté ses jambes s'est produit. Et depuis lors elle reste cloîtrée chez eux, dans leur maison, dans l'obscurité, avec pour seule occupation : espionner son mari. C'est ainsi qu'elle finit par comprendre (en fouillant ses affaires et lisant son journal) qu'il compte la tuer. Voyant son avenir s'assombrir, la peur au ventre, elle décide finalement de prendre les devants en tuant son mari avant qu'il ne lui fasse du mal. Normal.
Cependant dans l'ombre, un indien veille, observe, et attend son heure pour se manifester. Il n'est pas un inconnu, pour le couple, car il vient directement du passé, de leur passé très...
Gris...
Comme les intentions des personnages, qui sortent ici aisément du clivage bien et mal, ou du noir et blanc, et il n'est pas innocent que les flash-back soient de cette couleur particulière. Des personnages qui n'obéissent qu'à leurs propres règles, conviction et/ou vérité, et qui oublient vite leur humanité. Cette impression culmine dans le dernier tome où nous finissons, enfin, par comprendre la signification du titre "Berceuse assassine" à travers ce mystérieux indien qui met toutes les pièces en place dans un final étonnant et onirique.
En clair voici un scénario superbement maîtrisé par Tome (déjà à l'oeuvre sur l'excellente série Soda)et un dessin sobre et efficace de Meyer amené par sa colorisation inspirée. Ici l'étiquette hard-boiled n'est pas usurpée et on passe un bon moment comme dans une aventure digne d'un Ellery Queen. A découvrir au plus vite.
Tome 1 - Le coeur de Telenko (1997)
Tome 2 - Les jambes de Martha (1999)
Tome 3 - La mémoire de Dillon (2002)