9/10La Belette

/ Critique - écrit par iscarioth, le 23/05/2005
Notre verdict : 9/10 - La Monstrueuse Parade (Fiche technique)

Contrairement à ce que l'on dit, La Belette n'est pas un ersatz de Silence. L'album confronte la religion chrétienne aux paganismes les plus primitifs et isolés.

L'histoire

Anne et Gérald sont les parents de Pierre, un jeune simplet. Gérald travaille pour la télévision. Anne attend un nouvel enfant. La petite famille s'installe dans un coin perdu de la campagne ardennaise, pour y trouver calme et dépaysement.

Silence bis ?

Lorsqu'il est sorti en 1980, Silence a créé un véritable événement. Le succès de l'album a tout d'abord canonisé Didier Comès comme étant un grand artiste à suivre. Mais Silence a aussi été l'album révélateur, presque annonciateur, d'une époque pendant laquelle allait naître le militantisme écologique.
A posteriori, les bédéphiles reprochent souvent à Comès d'avoir voulu surfer sur cette vague en créant, avec la Belette, un ersatz, un sous-Silence. Il est vrai que l'on retrouve en lisant La Belette beaucoup de thèmes, personnages et situations déjà vus dans Silence : la campagne ardennaise, l'ésotérisme, la religion, l'enfant silencieux et retardé, le père de famille cruel, la seconde guerre mondiale et, surtout, la nature... Car c'est avant tout cette ambiance, typique de Silence, que l'on retrouve dans La Belette : un paysage rural sur lequel plane un curieux air d'étrange et de sorcellerie. La grosse différence entre Silence et la Belette, c'est qu'avec la Belette, il n'y a pas véritablement de personnage principal. Silence, comme son titre l'indique, se centrait sur la perception de la vie d'un jeune muet simplet. Avec La Belette, on explore plus la vie d'une multitude de personnages, oscillant entre différentes figures : le voisin et son fils, le curé Schonbroodt, la belette et son père... Même si le récit finit par se fixer sur la figure d'Anne, La Belette traite plus d'une communauté d'habitants que d'un personnage en particulier. Et le résultat est très convaincant.

La Monstrueuse parade

Tous les personnages, sans exception, sont très inquiétants. La morphologie des personnages et leurs visages sont tout d'abord assez extraordinaires. Quant on connaît le dessin de Comès, on sait que sa façon de dessiner les visages est très impressionnante. Comès ne fait presque jamais ouvrir la bouche à ses personnages, que l'on croirait revêtus d'un masque et, pourtant, il confère à ceux-ci une grande dimension expressive, génératrice de terreur. Avec la Belette, cette stylisation des visages atteint son paroxysme : Anne et Gérald ont des visages très allongés : on croirait des gobelins tout droit sortis d'un récit héroïc fantasy. La plupart des habitants du village ont un visage très grossier, bourru parfois monstrueux. En plus de leur apparence, ils développent une attitude étrange, voire extrême. A ce niveau, un personnage marque beaucoup : Bebert, le fils du voisin Renard, une grosse bête étrange, muette et sexuellement déséquilibrée. Sur de nombreux points, ce personnage, véritable homme-enfant, psychopathe répugnant, fait beaucoup penser au Leatherface de Massacre à la Tronçonneuse. Dans la deuxième moitié de l'album, seule Anne fait figure de personne « normale ». Le lecteur ne peut s'identifier qu'à cette femme enceinte isolée et souffrante. La peur et le suspense gravitent autour de ce personnage, dans les derniers chapitres. On pense beaucoup au film phare de Roman Polanski, Rosemary's Baby.

La Belette va plus loin que Silence dans certains grands thèmes. L'album confronte la religion chrétienne, au travers du personnage du fou de dieu Schonbroodt, aux paganismes les plus primitifs et isolés.


Contrairement à ce que l'on dit, La Belette n'est pas un ersatz de Silence. Même si les points communs entre les deux oeuvres sont assez nombreux, La Belette conserve tout de même un haut degré d'originalité. L'album n'est pas une redite : il réussit à créer une atmosphère nouvellement lourde et un panel de personnages inquiétants.