8.5/10Lucky Luke - Tomes 25 à 31

/ Critique - écrit par riffhifi, le 30/10/2009
Notre verdict : 8.5/10 - T’as le Luke, coco (Fiche technique)

Tags : lucky luke tome morris goscinny dupuis dalton

Les Dalton, Billy the Kid, Calamity Jane... Les sept derniers tomes de la période Dupuis sont riches en vedettes. Quelques répétitions, mais dans l'ensemble Goscinny assure comme une bête.

Si le film Lucky Luke sorti la semaine dernière vous a laissé dans la bouche le même goût qu'un grand bol d'eau de mer arrosé de térébenthine, il vous reste la ressource de vous pencher sur les excellentes bandes dessinées qui l'inspirèrent lointainement. Elles sont toutes disponibles à l'unité ou sous forme d'intégrales, en partie chez Dupuis et le reste chez Lucky Comics.


De 1963 à 1966, Lucky Luke vivait ses dernières aventures dans les pages de Spirou, qui seront reprises en albums de 1965 à 1967. La suite se déroulera chez Pilote, et appartiendra donc aux éditions Dargaud, puis Lucky comics. Mais jusqu'au tome 31, nous sommes chez Dupuis, qui termine ce mois-ci son intégrale avec les volumes 9 et 10, regroupant les sept derniers albums de cette époque fondatrice : La ville fantôme, Les Dalton se rachètent, Le 20ème de cavalerie, L'escorte, Des barbelés sur la prairie, Calamity Jane et Tortillas pour les Dalton. On identifie déjà cette période comme celle qui voit la série commencer à se nourrir de ses propres éléments, rebondir sur les albums précédents ; outre les Dalton, qui sont déjà des habitués, on retrouve Billy the Kid dans L'escorte (il avait fait sa première apparition huit tomes plus tôt), et un clin d'œil au tome 9 appelé Des rails sur la prairie, les barbelés devenant la nouvelle mode.

En ce milieu d'années 60, Lucky Luke est au top : le dessin de Morris a pris sa forme définitive, faite d'un trait souple et enclin à la caricature, apparenté à celui de Pellos et mis en valeur par une colorisation excessivement pâle ; et le stylo de René Goscinny est incroyablement enjoué, rompu qu'il est à l'écriture parallèle d'Astérix. A y bien regarder, la mécanique de l'intrigue et du gag chez Goscinny est d'une rigueur telle qu'elle frôle parfois la répétition. Par exemple, sur les sept albums présents, on distingue cinq fois l'usage du binôme grand dadais / petit énervé. Bien entendu, le schéma se présente deux fois sous la forme Averell / Joe Dalton, mais il apparaît également dans La ville fantôme avec les deux tricheurs Denver et Colorado (la logique des tailles est inversée, mais il reste un dominant vicelard et un dominé déphasé), dans Des barbelés sur la prairie avec le dénommé Texas (décidément, les noms d'état seyent bien aux vilains) qui se fait rembarrer d'un régulier « Tais-toi, Texas ! » par un de ses trois compagnons (une structure très
daltonienne), et dans Calamity Jane avec August Oyster et son gros sbire Baby Sam. On remarquera également que chez Morris & Goscinny, porter une fine moustache est généralement signe de fourberie : Pat Poker a montré la voie dès le tome 5, mais Denver et Oyster la suivent scrupuleusement. Plusieurs exceptions à cette règle se présentent : le "professeur de bonnes manières" de Calamity Jane, que l'on croirait calqué sur David Niven avant que ses manières ne se dégradent progressivement (l'inversion des rôles est un moteur comique classique, que Gosciny affectionne), et surtout le colonel MacStraggle, inflexible leader du 20ème de cavalerie et impitoyable père de son fils. L'alternance de brimades et de signes d'affection que le père et le fils échangent sont à la fois hilarantes et subtilement chargées d'émotion, ce qui fait de l'album un des plus originaux de cette fournée.

Au rayon des running gags, on note enfin le goût de Goscinny pour les hold-up sans efforts : terrorisés par le seul nom des Dalton ou de Billy the Kid, les banquiers et les épiciers offrent systématiquement tout ce qu'ils possèdent aux intéressés, même lorsque ceux-ci sont en quête de rédemption ou sous la garde de Lucky Luke. Le ressort frise parfois la lourdeur, mais trouve parfois son contrepoint dans les hold-up ratés, lorsque les guichetiers ne prennent pas les bandits au sérieux ou leur annoncent froidement que les caisses sont vides. Autant d'astuces habiles pour éviter de verser le sang, une des composantes de la bande dessinée qui se doit (particulièrement à cette époque-là) de préserver la jeunesse de toute violence trop graphique. En revanche, les personnages fument comme des pompiers (y compris en prison) et boivent comme des trous (le bétail aussi).

L'humour de Goscinny, toujours aussi savoureux quarante ans plus tard, est
souvent le résultat d'une construction scrupuleuse. Ainsi, soucieux de rattraper une gaffe d'Averell, Joe déclare que son frère vient d'utiliser un idiotisme ; une page plus loin, lorsqu'il est à nouveau question de ladite gaffe, Averell s'insurge : « Ce n'était pas une gaffe, c'était un idiotisme ! », ce qui dans sa bouche prend un sens tout nouveau... Quelques cases plus loin, lorsqu'on lui demande s'il sait ce qu'est la tequila, Averell répond « un idiotisme ? ». L'humour chez Goscinny ne naît pas seulement de la répétition, il est cumulatif, et gagne en épaisseur à la manière d'une boule de neige.

Finalement, le seul point noir de ces nouvelles intégrales, c'est l'absence totale de bonus, là où Dupuis nous avait habitués à une profusion de documents inédits et autres textes analytiques sur Yoko Tsuno, Spirou, Johan et Pirlouit... à force de manger du caviar dans de la belle vaisselle, on devient snob, et on râle quand on nous sert du caviar dans une vaisselle normale. Tss.


Tome 25 - La ville fantôme
(1965)
Tome 26 - Les Dalton se rachètent (1965)
Tome 27 - Le 20ème de cavalerie (1965)
Tome 28 - L'escorte (1966)
Tome 29 - Des barbelés sur la prairie (1967)
Tome 30 - Calamity Jane (1967)
Tome 31 - Tortillas pour les Dalton (1967)