Dargaud : Malaterre, Les filles de Salem

/ Critique - écrit par plienard, le 10/10/2018

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Quand Dargaud se lancent dans les romans graphiques, ça envoie du lourd, avec parmi ces deux petites, sans doute un des meilleurs romans graphiques de l'année.

Malaterre - note : 9/10

Pierre-Henry Gomont revient avec un nouvel album aux éditions Dargaud, après Péreira prétend (Sarbacane en 2016, grand prix RTL et prix de la bande dessinée des Rendez-vous de l'histoire). On y lit une sorte de saga familiale qui vaut par l'énergie qu'elle laisse transpirer et qui rappelle un autre auteur.


© Dargaud 2018.

 Gabriel Lesaffre ne supporte pas l'autorité. Capable de charmer n'importe qui, il est aussi imprévisible qu'exubérant. À la recherche d'une gloire passée - celle de son grand-père - il rachète le domaine que son grand-père avait lui-même perdu et est plein de projet. Comme celui de récupérer ses deux aînés pour les emmener avec lui en Afrique. Mais ce n'est pas le lien familial qui le force à faire ça, mais plutôt un intérêt personnel pour son projet de remettre à flot le domaine. Cela passe par le plan séduction des enfants, sans que leur mère ne se rende compte de quoi que ce soit, récupérer la garde des deux grands et mettre devant le fait accompli son ex-femme (une cousine qu'il a séduit à l'époque où il voulait se ranger avant que ses vieux démons ne le reprennent). Alcoolique, colérique, manipulateur, mais surtout charmeur, Gabriel n'a rien du père parfait et d'un homme de confiance. Il conçoit la vie comme une formidable opportunité et surtout comme un combat contre des obstacles sans cesse renouvelés. Qu'il rencontre mais qu'il se crée lui-même, aussi.

Pierre-Henri Gomont trace le portrait d'un homme et d'une famille qui sent parfois l'autobiographie. La justesse dans la description des sentiments et des situations conflictuelles qui peuvent naître entre un père menteur et alcoolique et ses enfants sentent trop la vérité pour qu'il n'y ait pas une part de vécu. Reste que l'énergie que cet album recèle est tout à fait enthousiasmante. On retrouve la même sensation qu'avec les albums de Christophe Blain, la même énergie. Chaque page semble un coup de vent que le lecteur se prend en pleine face. L'aura, le charisme du personnage principal opèrent aussi bien sur ses interlocuteurs que sur le lecteur. Ce n'est pas seulement son entourage qui se laisse séduire par cet homme que rien n'arrête.

Et puis il a les textes qui sonnent juste. La description des sentiments de chacun des personnages, les envolées presque lyriques de Pierre-Henri Gomont sont un petit bonheur de lecture. C'est presque de la haute littérature. Un des meilleurs roman-graphique que j'ai jamais lu …

 

Les filles de Salem - note : 8/10

On a tous plus ou moins dans sa tête "la légende" des sorcières de Salem. Et dans toute légende, il y a un fond de vérité. C'est ce que met à jour l'album de Thomas Guilbert au travers d'une histoire inventée mais tirée de faits réels où des femmes de Salem ont été accusées de sorcelleries.


© Dargaud 2018.

 L'album, chez Dargaud, revient sur l'origine de ce folklore. Il s'inspire de l'histoire vraie mais difficile de dire si l'auteur est proche ou non de la réalité. Et pour tout dire, on s'en moque un peu, tant le récit est captivant et prenant, et est profondément marqué par le réalisme de l'époque (fin du XVIIème siècle), de ses pensées religieuses et de son puritanisme. On est bien loin des histoires de sorcières, de pouvoirs fantastiques et ensorcelants que le titre et le folklore veulent bien nous laisser croire.

Nous sommes au XVIIème siècle, dans le village de Salem, dans le Massachussets. Abigaïl Hobbs a 13 ans et sa vie va changer. Cela commence par le cadeau que lui fait un de ses camarades d'enfance. Un simple âne en bois sculpté. Un geste bien anodin pour une jeune fille innocente de 13 ans, mais "qui fait déjà jaser dans le village". La belle-mère d'Abigaïl l'emmène alors chez "petite mère", la vieille du village. Le verdict est sans appel : elle devient une femme. À partir de ce moment, sa vie ne sera plus jamais la même.

Thomas Guilbert s'attache à raconter une histoire réaliste dans une ambiance oppressante où le puripuritanisme et la dévotion religieuse est à son paroxysme. Les habitants perdent toute notion du sens commun, aggravée par les difficultés du quotidien. Un ton juste et un trait fin expriment particulièrement bien l'emprise que le religieux a sur les gens et la folie qui s'empare d'eux.

 


Les couvertures des 2 albums - © Dargaud 2018.