6.5/10Barbe-Rouge

/ Critique - écrit , le 20/08/2006
Notre verdict : 6.5/10 - Corne de Bouc (Fiche technique)

Tags : barbe rouge charlier hubinon michel jean tome

Même si le Démon des Caraïbes n'est plus aussi médiatisé, il aura laissé à sa manière un souvenir indélébile pour les générations suivantes.

Comme à votre habitude, il vous arrive d'attraper machinalement un Astérix avant d'aller vous enfermer aux toilettes. Seul, coupé de toute civilisation, vous relisez les joyeux périples de vos gaulois préférés pour passer le temps, et débuter ainsi votre séance de lecture quotidienne. Sur son chemin, notre héros moustachu rencontre une bande de pirates dont le groupe est indéniablement constitué d'un capitaine borgne à la barbe rouge, d'un africain plutôt costaud puis d'un vieux loup des mers adepte de citations latines et traînant une jambe de bois. Ces trois personnages ne sont pas le fruit d'un miracle goscinnien. En effet, ces figurants éphémères sont un clin d'oeil fait à une autre série. Elle fut très populaire durant les années 60 et ravit de nombreux adeptes de Pilote. Elle avait pour titre : Le Démon des caraïbes, avant d'être rebaptisé par la suite : Les aventures de Barbe Rouge et Eric.

Les disparus (et survivants) du Faucon Noir


Le papa de Barbe Rouge ne nous est pas inconnu puisqu'il s'agit de Jean-Michel Charlier. Un juriste dessinateur mais qui est davantage célèbre pour ses scénarios. Le 9ème art à la sauce franco-belge lui doit de nombreuses séries à succès tel que Les Histoires de l'Oncle Paul, Michel Tanguy (et Laverdure) ou encore Blueberry pour ne citer qu'eux. Nommé rédacteur en chef dès le premier numéros du magazine Pilote qui parait en 1959, il a alors l'idée de créer un univers évoquant le petit monde de la piraterie. Pour illustrer ses récits, il fait appel à une connaissance de longue date : Victor Hubinon. Un ami qu'il avait rencontré en 1946 lorsqu'il travaillait pour l'agence World Press. Les deux compères avaient alors collaboré une première fois ensemble en permettant à Buck Danny de prendre son envol dans les pages du magazine Spirou. Une expérience enrichissante qui ne demandait qu'à être renouvelée.

Pourtant, Hubinon ne sera pas le seul dessinateur à mettre en scène Le Démon des Caraïbes. Il fut remplacé dans un premier temps par Jijé, autre auteur prolifique dont le trait transitait facilement entre le style réaliste et humoristique. Mais Jijé décéda brutalement en 1970 soit un an après Hubinon. Amputé de ces deux membres ayant accompagné Charlier depuis le début de sa carrière, ce dernier se retrouva alors dans un profond désarroi. Qu'allait-il advenir de la bande d'insoumis voguant sur le célèbre Faucon Noir ? Après deux années de recherches infructueuses pour dégoter la perle rare capable de reprendre le flambeau, Charlier se posa alors la question d'arrêter définitivement la saga. Mais le scénariste rencontra peu de temps après Patrice Pellerin. Ce jeune illustrateur ne connaissait pas alors le milieu de la bande dessiné, mais son trait académique convainquit Charlier de dessiner ses histoires. Au même moment, le scénariste découvrit les travaux de Christian Gaty. Un artiste dont le graphisme pouvait facilement tromper l'oeil du lecteur avec celui du regretté Jijé qui, avant de mourir, avait réalisé 10 pages de L'Or maudit du Huacapac. C'est ainsi que Barbe Rouge se retrouva au final avec deux dessinateurs à son actif pour finalement assister à sa décadence.

Une intrigue sans fin

Le principe narratif du Démon des Caraïbes n'a rien d'innovant. Barbe rouge, le pirate le plus redouté des mers, s'attaque un jour à un navire marchand quittant la France. A son bord se trouve un jeune couple et leur petit garçon accompagnant l'expédition. Les pillards avancent joyeusement à coup de massacre et découvrent finalement la tête blonde devenue orphelin. Barbe Rouge ne tarde pas à être attendri par la bouille de ce bébé, inconscient du drame qui vient d'avoir lieu. Le capitaine du tristement célèbre Faucon Noir décide de l'adopter pour en faire une futur terreur des mers, à son image. Barbe Rouge le nomme Eric. Le garçon grandit dans une des innombrables îles peuplant les Caraïbes. Son père adoptif en fait un vaillant capitaine n'abandonnant jamais son équipage et toujours prêt à faire front. Baba, un vaillant guerrier africain, le protège de tous les dangers. Triple-pattes, le vieux marin à la jambe de bois, lui inculque son savoir scientifique et le latin. Mais Eric s'ennuie à apprendre toutes ces théories et préfère imaginer ses futurs voyages à bord de son propre galion. Un voeu qui s'exauce rapidement. Barbe Rouge souhaite que son protégé soit davantage encadré et puisse jouir d'un enseignement élitiste. Chose qu'on ne lui a jamais accordé dans sa jeunesse et ayant abouti à un petit complexe dont nous connaissons les conséquences. Il décide alors modestement d'organiser une excursions pour enlever les professeurs attitrés du fils du roi d'Espagne. Durant ce joyeux périple, notre petit Eric débute sa crise d'adolescence. Il ne supporte plus les boucheries engendrés par son père et le considère de moins en moins comme un modèle à suivre. Papa Barbe Rouge craint à défaut de l'être. Commence alors pour Eric la difficile traversé où il devra prouver aux yeux de tous qu'il est un grand marin intègre.

Le partage du butin


Le Démon des Caraïbes est divisé en plusieurs épisodes se complétant entre eux. Il est rare de voir apparaître le mot "fin" trôner en guise de point final. Ce coquin de Charlier avait préféré insérer dans la dernière case un petit encadré posant une problématique où nous serions obligé de trouver la réponse dans le tome suivant. Les feuilletons de Barbe Rouge ont leur pesant d'or. Le scénariste a su dynamiser son récit pour varier ses scènes d'actions, évitant alors au lecteur de sombrer dans les profondeurs de l'ennui. Un procédé qui a pourtant tendance à s'user avec le temps étant donné l'usage répétés des même ingrédients. Bien que Barbe Rouge et Eric voient officiellement leurs chemins se séparer, il y'aura toujours un événement prétextant leurs retrouvailles. Ils devront souvent montrer leur autorité pour dominer un équipage de "poltrons" lorsque ce n'est pas un traître qui viendra semer le trouble. Seul Baba et Triple Pattes demeureront leurs plus fidèles alliés.... si on ne prend pas en compte une forte dose de toupet assaisonnée de chance. Barbe Rouge et Eric n'hésitent pas à aller au devant du danger pour mieux l'esquiver. Que ce soit évoluer en plein territoire ennemi ou foncer droit dans un ouragan pour échapper à leurs poursuivants. Bien entendu, face à la fierté de Barbe Rouge et au physique ravageur d'Eric qui n'a d'égale que sa loyauté, leurs périples trouvent toujours une issue favorable. Outre cette impression familière de tourner en rond au fur et à mesure des histoires contées, il est regrettable que Charlier n'ait pas approfondi certains points. A commencer par exemple le conflit père-fils résultant de leur désaccord sur leur vision du monde et cela même s'il partagent certains traits de caractère communs. De plus, il faut noter que Charlier se focalise davantage sur le personnage d'Eric. Sans doute parce que le lecteur s'identifie plus facilement à ce jeune homme en train de se construire, tandis que la vie de Barbe Rouge est déjà faite. Le légendaire pirate tient la plupart du temps un rôle secondaire. Une remarque qui justifie sans doute le remaniement du titre de la série qui s'intitulera par la suite: Les aventures de Barbe Rouge et Eric.

Graphiquement, Le Démon des Caraïbes est fortement marqué par l'empreinte d'Hubinon malgré les différents dessinateurs qui se sont tués à la tâche. Son trait réaliste à la fois fluide et dynamique renforce une mise en scène classique mais efficace. Barbe Rouge demeure un robuste pirate. Mais cette vigueur va s'estomper au fil des collaborations. Le coup de crayon de Jijé peut surprendre au premier abord. Il parvient pourtant à s'imposer par la fermeté de son style, sans effacer les traces de son prédécesseur. C'est en observant le travail de Gaty et le perfectionnisme de Pellerin que Barbe Rouge prend un sacré coup de vieux tandis qu'Eric apparaît davantage comme un homme à part entière, et non plus un fils. Une décomposition renforcé par une coloration de plus en plus vive et tranchée. Les aventures de Barbe Rouge et Eric pourraient finalement être comparé à l'évolution de la série télévisée Les Experts. Au début, on regarde chaque épisodes avec intérêt. Notre oeil s'attache à ses pseudos Grisome assoifés d'aventures et de conquêtes enrichissantes. Puis la production se retrouve dans l'obligation de faire peau neuve lorsqu'apparait une nouvelle saison. Et même si le concept scénaristique est maintenu, nous ne parvenons pas à nous familiariser avec l'équipe de Gary Sinise dont les membres sont parés de leurs plus beaux costumes d'enterrement.


Même si le Démon des Caraïbes n'est plus aussi médiatisé, il aura laissé à sa manière un souvenir indélébile pour les générations suivantes. Pellerin perpétuera la tradition quelques années plus tard en réalisant
l'Epervier dont tous les ingrédients ont été repris pour son propre compte. Dans La galère d'Obélix, nous pouvons nous demander si Uderzo ne reformule pas en partie l'intrigue de base vue dans les Révoltés de l'Océane (une bande d'esclaves décide de se rebeller pour ensuite partir à le recherche d'une terre où ils seront libres). Un clin d'oeil qui viendrait alors s'ajouter à celui de son défunt camarade Goscinny. Une anecdote renfermant le passé conséquent d'une série de votre enfance, mais que vous laisserez sans doute sombrer dans les abysses de votre chasse d'eau.

Tome 1 - Le démon des caraïbes (1961)
Tome 2 - Le roi des sept mers (1962)
Tome 3 - Le fils de Barbe Rouge (1963)
Tome 4 - Défi au roy (1965)
Tome 5 - Les révoltés de l'Océane (1965)
Tome 6 - Le vaisseau fantôme (1966)
Tome 7 - L'île de l'Homme mort (1967)
Tome 8 - Le piège espagnol (1968)
Tome 9 - La fin du " Faucon Noir" (1969)
Tome 10 - Mort ou vif (1970)
Tome 11 - Le trésor de Barbe Rouge (1971)
Tome 12 - La captive des Mores (1973)
Tome 13 - Le vaisseau de l'Enfer (1974)
Tome 14 - Raid sur la corne d'or (1979)
Tome 15 - L'île des vaisseaux perdus (1980)
Tome 16 - Le jeune capitaine (1981)
Tome 17 - Les disparus du Faucon Noir (1982)
Tome 18 - Trafiquants du bois d'ébène (1983)
Tome 19 - Echec au négrier (1987)
Tome 20 - L'or maudit de Huacapac (1984)
Tome 21 - La cité de la Mort (1987)
Tome 22 - Les révoltés de la Jamaïque (1987)
Tome 23 - Pirates en mer des Indes (1991)
Tome 24 - La fiancée du grand Moghol (1992)
Tome 25 - La flibustière du sans pitié (1994)
Tome 26 - A nous la tortue (1995)
Tome 27 - L'or et la gloire (1996)
Tome 28 - La guerre des pirates (1997)
Tome 29 - L'ombre du démon (1999)
Tome 30 - Le chemin de l'Inca (2000)
Tome 31 - Le secret d'Elisa Davis -première partie- (2001)
Tome 32 - Le secret d'Elisa Davis -seconde partie- (2004)