8/10Balade au bout du monde - Premier cycle

/ Critique - écrit par iscarioth, le 18/04/2005
Notre verdict : 8/10 - Rêve et Réalité (Fiche technique)

Tags : monde bout balade tome makyo cycle vicomte

Critique du premier cycle (les quatre premiers albums) : La Balade au Bout du monde ne fait pas partie de ce genre de séries sentant le déjà-vu, vis-à-vis desquelles le lecteur court après un dénouement qu'il anticipe fort aisément. En lisant La Balade au Bout du monde, on a assurément l'impression de vivre un grand moment de BD, de découvrir une prouesse scénaristique faite de suspense et de rebondissements.

Balade au Bout du monde compte parmi les grands classiques de la maison Glénat. La série est à ranger entre les Passagers du Vent et les Eaux de Mortelune. C'est l'une des premières séries à succès de la désormais prestigieuse maison d'édition. Le premier tome de la Balade au Bout du monde sort en 1982. C'est le début d'une très longue aventure. Début des années deux mille, la série n'est toujours pas terminée. Le quatorzième tome est sorti début 2005. Mais Makyo n'est pas l'un de ces scénaristes touchés par le syndrome « Van Hamme ». Les quatorze albums de la Balade au Bout du monde ne forment pas un bloc indivisible. On distingue quatre cycles de quatre albums (dernier cycle en cours). On va s'intéresser ici au tout premier cycle, dont on dit souvent qu'il est le meilleur.

Les auteurs

Makyo est un scénariste reconnu. Il est le père du célèbre Jérôme Bloche et de séries comme Elsa ou Grimion gant de cuir. C'est avec la Balade au Bout du monde que Makyo conquiert le grand public. Dès la sortie du premier tome, La Prison, le succès est effectif. A tel point qu'en 1982, Jacques Chirac, alors maire de Paris, remet à Makyo et Vicomte le prix de la ville. Alors que le succès de la Balade a propulsé Makyo au sommet et lui a permis d'entamer de nombreux autres travaux, Vicomte, lui, n'aura connu pour seule gloire que ces quatre premiers tomes.

L'Histoire

Arthis part dans les marais faire des photographies. Il y suit une jeune femme prise par la même occupation. Le jeune homme est assommé par d'étranges personnes en armure et se retrouve, à son réveil, en prison.

La Prison

De multiples personnes dans un espace confiné, inconnu et dans l'ignorance totale de leur lieu d'emprisonnement, c'est le point de départ de beaucoup de films à suspense. Cube, de Vincenzo Natali, est l'exemple le plus fameux. Rarement la bande dessinée, sur ce terrain, arrive à générer les mêmes sensations de terreur et de crédibilité que le septième art. Avec les deux premiers tomes de la Balade au Bout du monde, c'est chose faite. La prison et Le grand pays présentent une histoire qui se déroule en grande partie dans une prison crasseuse et abandonnée par ses matons. L'univers créé par les auteurs est très crédible. Abandonné dans l'anarchie la plus complète, toutes ces personnes bien de « notre monde » vont peu à peu retrouver une animalité complète. A mesure d'isolement et de décrépitude, l'homme revient à son état bestial : il tue pour survivre et viole pour assouvir ses pulsions. A mesure que l'on avance dans le récit, les prisonniers se « zombifient ». Déjà hirsutes et blêmes à l'arrivée du héros, ils sont loqueteux et verdâtres à l'extrême à la fin du deuxième tome. Sur un espace de quelques dizaines de pages, Makyo et Vicomte reconstituent un univers carcéral sauvage inquiétant, sans loi ni chef. Une véritable trame sociale et sociologique est tissée avec beaucoup de maîtrise par les auteurs. Un univers hors du temps et des réalités dignes des plus grands écrits de Kafka.

La pierre de folie

Une fois l'épisode de La Prison fini, les surprises ne vont pas en décroissant pour le lecteur, même si l'on constate un petit temps mort avec le troisième tome, Le Bâtard. Le troisième volume s'attache en effet moins au héros, Arthis, et s'occupe plus d'informer le lecteur quant à l'univers qu'il découvre. A l'aide de dialogues explicatifs habiles, Makyo nous renseigne pendant plusieurs dizaines de pages sur l'histoire et le système politique et social du monde médiéval que l'on découvre. Il y a moins d'action et moins à observer. On est plus face à des textes explicatifs illustrés. Ce ralentissement est un passage obligé, une construction de la trame qui va conditionner les incroyables et prenantes prouesses scénaristiques à venir. D'ailleurs, une fois le troisième tome fini, on a le sentiment d'avoir parcouru un scénario très modelé et ficelé. Le monde construit est complexe, riche et sans incohérences.
Le quatrième tome est un sommet scénaristique et graphique. Visages et décors s'affinent. Les jeux d'ombre atteignent leur plus haut degré d'intensité. Déjà, fin du tome trois, Vicomte réussissait quelques vignettes chargées en jeux de lumière. Avec La pierre de folie, le dessinateur confère à ses personnages une réelle force expressive grâce à ces jeux d'ombre. La scène de torture, début de ce quatrième tome, est très impressionnante à ce niveau. Le très bon découpage accélère le rythme de cet ultime épisode, après le léger ralentissement connu avec le tome trois. Le dénouement est des plus imprévisibles, sans aucune pitié vis-à-vis des personnages ou du lecteur. On aurait pu croire certains événements faciles à anticiper. Il n'en est rien. Makyo se joue réellement de nous avec que l'apparence.

Psychologie des personnages

Au début, on peut croire que les personnages en place sont très habituels. Un héros tourmenté et rêveur, une compagne blonde, légère, insipide, une femme fatale mystérieuse... Tous les éléments semblent en place pour construire une histoire prévisible, proche de celles que l'on a l'habitude de voir dans les contes. C'est au bout des deux premiers tomes que la psychologie des personnages prend en densité. Le héros, Arthis, se révèle être un égoïste instable. Anne, sa blonde de copine, sous ses airs de Marilyn, est une femme piquante et sarcastique. Mais le personnage le plus impressionnant de ce premier cycle est sans conteste le roi. Il s'agit d'un souverain à moitié fou se voulant « roi soleil », entité fusionnant avec son royaume, incarnant chaque partie de son domaine. « Roi légitime », « souverain absolu » d'une grande théâtralité, le personnage est une véritable caricature de ce que représentait le monarque à l'époque du haut moyen age et de l'époque moderne, en France. L'intrigue amoureuse qui semble aussi, au départ, assez prévisible, gagne énormément en épaisseur vers la fin du cycle.

Un Vicomte évolutif

Au feuilletage, les premiers tomes de la Balade au Bout du monde sont assez peu attirants. Les dessins donnent une impression de consensualisme que l'on défait rapidement en commençant la lecture. Au début du premier tome, on est face à un dessin semi-réaliste, avec des visages simplifiés et caricaturaux. On pense beaucoup aux travaux de Philippe Luguy, le dessinateur de Percevan. Au bout de quelques dizaines de pages, la physionomie des personnages a déjà évolué. On s'avance vers un style plus réaliste-classique, vers un dessin que l'on peut comparer à celui de Bourgeon, par exemple. Arrivé au tome quatre, c'est l'apothéose. Vicomte a bien ses personnages en main. Les jeux de lumière sont époustouflants, le dessinateur a définitivement le sens du détail et du décor. L'ensemble des quatre albums n'est pas du tout homogène. On passe du semi-réaliste au réalisme total. Les visages et même les silhouettes d'Arthis et d'Anne entre le premier et le dernier tome n'ont plus rien à voir. On peut expliquer cette évolution par les progrès réalisés par le dessinateur. Ce qui est plus intriguant, c'est que les couleurs aussi ont une bizarre tendance à se métamorphoser. Dans le tome premier, Arthis a des cheveux d'un roux bien pétant et, sans autre forme d'explication, sa chevelure devient brune fin du deuxième tome. Anne aussi passe du blond clair au blond-roux, d'un tome à l'autre. La coloration de ce premier cycle est néanmoins impeccable. La Prison a été colorié par Jacky Robert. Les tomes deux, trois et quatre ont été coloriés par Laurence Quilici, artiste chevronnée ayant déjà travaillé sur des oeuvres de prestige comme la Quête de l'Oiseau du temps. Son travail est très appréciable et épouse parfaitement le dessin de Vicomte.


La Balade au Bout du monde
ne fait pas partie de ce genre de séries sentant le déjà-vu, vis-à-vis desquelles le lecteur court après un dénouement qu'il anticipe fort aisément. En lisant La Balade au Bout du monde, on a assurément l'impression de vivre un grand moment de BD, de découvrir une prouesse scénaristique faite de suspense et de rebondissements. Au-delà du quatrième tome, un nouveau cycle commence. La série change alors beaucoup. Mais ceci est une autre histoire...

Tome 1 : La Prison (1982)
Tome 2 : Le grand pays (1984)
Tome 3 : Le Bâtard (1985)
Tome 4 : La pierre de folie (1988)