8.5/10Une Aventure de Spirou et Fantasio - Tome 4 - Le journal d'un ingénu

/ Critique - écrit par riffhifi, le 21/04/2008
Notre verdict : 8.5/10 - Spirou begins (Fiche technique)

Bon anniversaire, Spirou ! Apparu pour la première fois le 21 avril 1938, le groom fête aujourd'hui ses 70 ans. Quel meilleur cadeau que cet album d'Emile Bravo qui invente sa première rencontre avec Fantasio, en 1939 ?

On va finir par le savoir, 2008 est l'année des 70 ans de Spirou (et celle d'autres anniversaires BD sur lesquels on reviendra en temps voulu) ; à cette occasion, les éditions Dupuis mettent les petits plats dans les grands : deux expositions à Bruxelles, une pièce spécialement frappée par la Monnaie de Paris, un changement de rédacteur en chef du Journal de Spirou, qui se pare pour l'occasion d'une « nouvelle super formule »... Au Salon du Livre le mois dernier, les badauds avaient même droit à un petit chapeau de groom s'ils passaient à côté du stand de l'éditeur ! Dans cet océan de paillettes, l'effort le plus appréciable est tout naturellement la parution d'une bande dessinée spéciale, concoctée par Emile Bravo pour la série « Une aventure de Spirou et Fantasio par... ». Si les trois précédents titres pouvaient décevoir par leur manque d'ambition et d'originalité, celui de Bravo mérite qu'on retourne à l'auteur son propre nom de famille. Faisant le lien entre les premières aventures signées Rob-Vel et la période Franquin entamée en 1947, Le journal d'un ingénu est un bijou d'ingéniosité et de culot.

Bruxelles, 1939. Spirou est un jeune groom employé au Moustic Hotel. Brutalisé par le chef portier Entresol, il ne se préoccupe que de payer son loyer et d'arbitrer les matchs de foot des gamins du quartier. Mais les évènements qui l'entourent vont le rattraper, ainsi qu'un journaliste envahissant nommé Fantasio.

Dès la couverture, on sait qu'on a affaire à un Spirou différent de tout ce qui a été fait précédemment : toute simple mais splendide, elle montre le groom avec un
coquard à l'œil et son écureuil Spip dans les bras (et si on rappelait au passage que Spirou veut dire écureuil en wallon ?), debout devant une absence de décor jaunie comme un vieux journal. A sa droite, une multiplication de marteaux et de faucilles rougit l'image ; à gauche, ce sont les croix gammées qui noircissent le tableau. La problématique de l'album est posée : Spirou est pris dans l'étau de la politique, traversant une époque sombre où les gens qui l'entourent prennent parti pour les fascistes ou les communistes. Et lui ? Lui, il se demande comment s'y prendre avec la jeune femme de chambre qui travaille avec lui et dont il ignore le nom. Il aimerait faire l'amour, pas la guerre.

En ces temps où il est de bon ton de revenir aux origines des personnages célèbres pour mieux les réinventer, Emile Bravo préfère jouer la carte de la cohérence et de l'hommage, en faisant référence aux planches de Rob-Vel autant qu'aux travaux ultérieurs de Jijé et Franquin. S'il fallait trouver une comparaison, plutôt qu'à Batman Begins ou Casino Royale, on penserait au Secret de la pyramide, ce film où un jeune Sherlock Holmes fait ses premiers pas de détective et
trouve l'origine de ses manies. De la même façon, Le journal d'un ingénu trouve un ton personnel, très différent de celui des albums traditionnels (on ne peut pas à proprement parler d'aventures ici), tout en s'adressant directement aux amoureux de la bande dessinée. Le dessin n'est comparable à celui d'aucun des artistes ayant œuvré sur la série, on peut le définir comme un mélange de ligne claire façon Hergé et de style quotidien façon Spiessert, tel qu'on peut l'observer chez plusieurs auteurs de la collection Expresso. Hergé, on en parle d'ailleurs à plusieurs reprises puisque Spirou déclare ici être un fervent lecteur de... Tintin ! Un bon moyen de réconcilier les deux frères ennemis de la bande dessinée belge, qu'il ne sert plus à rien d'opposer.

Ecrit avec une verve remarquable (on goûtera particulièrement les dialogues du premier rendez-vous amoureux de Spirou), dessiné avec gourmandise, l'album est également capable de fournir quelques surprises de taille, dont un épilogue particulièrement gonflé qui amène le lecteur à se poser bon nombre de questions sur l'ensemble des aventures de Spirou.

En tout cas, on sait désormais pourquoi Spirou et Fantasio sont vaccinés contre la politique et les femmes (quoique, Seccotine...).