7.5/10Aïda à la croisée des chemins

/ Critique - écrit par riffhifi, le 17/04/2008
Notre verdict : 7.5/10 - Histoires de fantômes italiens (Fiche technique)

Tags : aida croisee chemins vinci vanna ville bdgest

Vanna Vinci, talentueuse bédétiste italienne, propose ici une visite guidée de la ville de Trieste. Guidée par les fantômes d'Aïda, porteurs d'une image du passé que la jeune fille découvre avec un mélange d'effroi et de plaisir.

Aida al confine est d'abord paru en 2003 aux éditions Kappa. La première traduction française envisagée du titre était littérale : Aïda à la frontière. Mais à la réflexion, Dargaud a dû penser qu'une telle formulation ferait penser à une histoire d'expulsion d'immigrés, et l'a fait rebaptiser Aïda à la croisée des chemins. Pas si bête, car en fin de compte Aïda ne reste pas à la frontière, elle promène ses pas sur le territoire des morts comme sur celui des vivants. C'est ce qui fait le charme et la poésie de cet album : l'interpénétration des mondes de la vie et de la mort, les habitants du premier ayant encore des montagnes d'informations et de sentiments à communiquer aux habitants du deuxième.

Aïda, 21 ans, se rend à Trieste non seulement pour l'homophonie de la ville avec son état, mais aussi pour renouer avec ses racines : ses grands-parents maternels y ont vécu. Là-bas, elle découvre que sa cousine Mara est lesbienne... et surtout que les fantômes de sa famille hantent les rues de la ville. Entre peur et fascination, Aïda part à la découverte de ses origines, et réalise que sa génération n'est pas la plus à plaindre.

Trieste est-ce ?
Trieste est-ce ?
Exprimé en quelques lignes, le scénario peut paraître pontifiant, moralisateur et un peu facile. Il l'est un peu, il faut le reconnaître, mais si peu qu'on retient surtout de l'album sa beauté formelle et son onirisme chaleureux. Maniéré, le style de Vanna Vinci ? Sans aucun doute : faire parler des mouettes ou des fontaines à la place des personnages, citer les chansons qu'ils écoutent au moment où les paroles traversent la case, ou encore alterner le blanc et le noir en fond de page selon qu'on se trouve dans le monde des vivants ou le monde des morts, sont autant de tics assumés par l'Italienne, qui confèrent de la personnalité à sa bande dessinée sans pour autant la plomber. On remarquera également ce trait tarabiscoté qui traverse régulièrement les cases : vol d'oiseaux ou fil barbelé, le motif n'est utilisé la plupart du temps qu'en décoration, symbolisant le lien qui unit les vivants et les morts, le présent et le passé ; un lien fragile et tordu, mais un lien tout de même.

Nino ne rota pas
Nino ne rota pas
Usant avec talent d'un noir très profond pour emmener le lecteur « de l'autre côté de la frontière », Vinci choisit comme porte-parole de l'autre monde le beau et ténébreux Nino, tout de noir vêtu. Ses rapports avec Aïda, tout ésotériques qu'ils soient, flirtent régulièrement avec le malsain. Autant la relation de la jeune fille avec les fantômes de ses grands-parents s'avèrent assez similaires à ceux qu'elle aurait pu avoir avec eux de leur vivant, autant la relation avec Nino renferme le cœur de l'album, le moteur de la quête d'Aïda. Elle n'aura pas de trompettes pour l'accompagner dans sa découverte. Une confrontation entre l'histoire de sa famille et l'Histoire avec un grand H. Pas de suspense policier, pas de coup de théâtre : juste un récit humain, une plongée dans un passé proche qu'on est trop souvent tenté de considérer comme lointain.

L'album est complété de plusieurs pages rédigées par l'auteur, où elle explique entre autres sa fascination pour la ville de Trieste. Un addendum précieux à une oeuvre intéressante.