8/10A.D. La nouvelle Orléans après le déluge

/ Critique - écrit par hiddenplace, le 24/12/2011
Notre verdict : 8/10 - Noé... sans son arche (Fiche technique)

Tags : orleans nouvelle deluge neufeld josh read kindle

Projet sensible, délicat et pari risqué : montrer les ravages humains et matériels de l’ouragan Katrina. Josh Neufeld nous offre donc avec A.D. La nouvelle Orléans après le déluge, une chronique à la fois bouleversante, attachante, oscillant entre espoir et désolation.

Triste coïncidence, il y a quelques jours une partie du territoire français subissait les mémorables perturbations d’une tempête dénommée Joachim, patronyme attribué à un des phénomènes météorologiques les plus marquants de cette année. Malgré les dégâts matériels qu’elle a générés, la comparaison avec le sujet de notre album est cependant sans commune mesure : A.D. La nouvelle Orléans après le déluge retrace les circonstances qui entourent une catastrophe naturelle d’une autre envergure, beaucoup plus dévastatrice : l’ouragan américain Katrina, frappant en août 2005 une grande partie de la Louisiane et du Mississipi. L’auteur, Josh Neufeld, choisit dans ce comics un regard non fictionnel, entre témoignage, documentaire, et récit intimiste et sociologique en mettant en scène cinq familles différentes ayant survécu au désastre.

A.D. La nouvelle Orléans après le déluge
DR.Comme souvent dans ces œuvres traitant de faits réels délicats, la difficulté réside dans le positionnement de son auteur, le parti pris d’une mise en scène soit objective et détachée, soit totalement subjective et unilatérale. Lui-même impliqué dans « L’Après-Déluge » (signification supposée de l’abréviation « A.D. » ?) puisqu’il s’est porté volontaire auprès de la Croix Rouge pour aider les sinistrés, Josh Neufeld avait commencé par tenir un carnet de bord au jour le jour sur internet – dont on peut consulter quelques extraits en fin d’ouvrage – qui lui inspira ensuite le projet de cette bande dessinée plus aboutie. Récit choral centré sur un total de sept personnages-clefs, A.D. La nouvelle Orléans après le déluge se construit également comme un journal en temps et en heures, envisageant le drame selon cinq chapitres : « La tempête » (l’annonce et ses mesures préventives), « La ville » (les dégâts subis pendant le passage de l’ouragan), « L’inondation » (les événements qui suivent la rupture des digues de la ville de Biloxi),  « La diaspora » (ce que sont devenus les sept personnages après le drame) et enfin « Le retour » (la reconstruction).

Recueillant les témoignages de ces sept personnes tout aussi différentes (âge, catégorie sociale, origine ethnique ou religieuse) que distinctement touchées par la catastrophe, l’auteur s’est efforcé de retranscrire le plus fidèlement possible les éléments confiés par ses interlocuteurs, qu’ils soient déterminants ou anecdotiques dans le récit global. Mais au lieu de dresser un vulgaire bilan, le regard du dessinateur s’aventure bien évidemment au-delà du simple reportage photographique et chiffré. Il privilégie une approche intime et intérieure de l’expérience, en décidant de juxtaposer cinq points de vue de familles ou d'amis indépendants et nous glissant dans la peau de chaque personnalité. Sans tomber dans la facilité de compartimenter les cinq récits de manière isolée, mais sans les mêler artificiellement non plus (les cinq groupes ne se croisent jamais entre eux), les histoires sont relatées de manière chronologique en mettant en lumière la façon dont chacun gère progressivement les divers bouleversements. Ainsi l’appréhension de la catastrophe, et les traumatismes et répercussions subis par chacun oscillent entre la simple inquiétude de voir toute une partie de son enfance engloutie par les flots (la collection de comics de Léo) et l’attachement viscéral à son siège professionnel (l’épicerie d’Abbas). En amont, les personnages pressentent aussi le phénomène à leur façon : certains craignent le pire, d’autres sous-estiment son ampleur potentielle.

A.D. La nouvelle Orléans après le déluge
DR.
Le graphisme précis, détaillé et documenté de Josh Neufeld nous dépeint des personnages expressifs et attachants, dans la veine d’un Daniel Clowes et tout aussi fidèle à cet esprit de chronique mêlé de carnet de voyage. La ligne claire, plus ou moins épaisse et dont les courbes adoucissent le côté tragique de ce reportage, ne s’alourdit d’aucune réelle colorisation, si ce n’est un voile monochrome en arrière-plan dont la couleur varie en fonction des différents moments-clefs du récit. La retranscription de certaines situations (véridiques, précise bien le dessinateur) rappelle certains passages de films-catastrophes, la narration prend même parfois des allures cinématographiques dans son alternance de plans d’ensemble et de focalisation sur les visages et les scènes intimistes. Mais la prise de conscience du fait avéré bouleverse d’autant plus que l’on a pris le temps de s’attacher à chacune de ces personnes, que l’on se reconnaisse ou non en leur personnalité. L’auteur retrace avec force et un sens du rythme remarquable la justesse et l’escalade des émotions : on sent monter doucement la tension en même temps que la panique, pendant que s’escriment sur les différents fronts les gestes de solidarité et d’empathie face au déploiement d’instincts primaires de survie. Parmi ces mises en scène, signature d’un regard et d’une écoute non désincarnées de la part de Josh Neufeld, quelques pointes de dérision et touches d’ironie viennent ponctuer le drame.

Projet sensible, délicat et pari risqué, montrer les ravages humains et matériels de l’ouragan Katrina méritait plus qu’un traitement documentaire en surface : Josh Neufeld en optant pour la retranscription de plusieurs témoignages dont il s’est senti lui-même proche, nous offre donc avec A.D. La nouvelle Orléans après le déluge, une chronique à la fois bouleversante, attachante, oscillant entre espoir et désolation. Happée tout au long de la narration, confrontée à cette réalité tragique vécue par procuration, la prise de conscience opère.  Elle se poursuit en épilogue par l’intermédiaire des images d’archives du désastre Katrina, à l’origine présentées par l’auteur dans son journal de bord en tant que volontaire de la Croix Rouge.