8/10Abigaël Martini - Tome 2 - La nuit des enfants

/ Critique - écrit par riffhifi, le 17/02/2008
Notre verdict : 8/10 - Arrêt au port de Marseille (Fiche technique)

Tags : scenario azuelos thomas nuit dessin inna tome

Polar au soleil, omerta sur la canebière et féminisme en demi-teinte : Abigaël Martini n'est pas une œuvre radine.

Abigaël Martini a été créée par Thomas Azuélos il y a près d'un an et demi aux éditions Carabas : la petite commissaire stagiaire était envoyée à Marseille par son auteur, qui connaît son sujet puisqu'il y a lui-même vécu de nombreuses années. Aujourd'hui, il renvoie la jeune fille, toujours stagiaire, au pays de la bouillabaisse et de la sieste. Il ne faudrait certes pas que la série s'embourbe dans la répétition, mais au bout de deux albums on peut encore se permettre de supporter le talent immense d'Azuélos, qui se sert habilement de ses prémisses de polar pour transporter son héroïne au cœur d'un voyage quasi-initiatique où les attitudes humaines les plus méprisables surgissent au détour d'un récit fort et complexe.

Toujours prompt à se débarrasser de sa jeune stagiaire, le commissaire Kaskol confie à Abigaël Martini la lourde tâche de retourner à Marseille, pour enquêter cette fois sur les incendies manifestement criminels qui frappent certains cabanons de la Pointe Courte. Une affaire apparemment triviale, qui cache pourtant son lot de secrets insoupçonnés (comme dirait l'inspecteur Charolles de Gotlib : « que de tragédies humaines il nous faut côtoyer »...)

Une chose est sûre : la constance avec le tome précédent est assurée. Même décor, même héroïne au statut inchangé : toujours hésitante mais volontaire,
célibataire mais croqueuse d'usagers d'agences matrimoniales... Abigaël Martini, avec son patronyme improbable, est un personnage décidément attachant. Pourtant, l'intérêt de la bd ne tient pas tant dans la personnalité de la Martini que dans l'intrigue et l'ambiance déployées par Thomas Azuélos : faisant toujours un usage inspiré du noir et blanc pour alterner expressionnisme et épure (le style rappelle parfois celui de Jake Raynal, collaborateur régulier de Fluide Glacial), le scénariste-dessinateur présente dans son récit une galerie de personnages invraisemblables que Abigaël aura bien du mal à faire parler. On appréciera notamment la brochette du bar, composée de simili-héros de l'Iliade présentés par un dénommé Homère (ah tiens ?) : Ajas, Odysse, Nestor, Achile... La Guerre de Troie aura-t-elle lieu ? Les rouages de l'intrigue mettent du temps à se révéler, et les langues à se délier : il faut dire qu'à la Pointe Courte, on ne parle pas facilement aux étrangers ; ni aux flics ; ni aux femmes ; alors à une jeune femme flic de Paris, tu penses...


Azuélos tient le lecteur en haleine malgré le peu de loquacité des personnages en variant régulièrement le rythme de ses planches : dans l'une on trouvera neuf cases blindées de dialogues et de dessins sombres et enfumés, dans l'autre on ne trouvera que deux grandes cases muettes et vides de personnages ; quelques scènes plus loin, l'enquête avance ; puis un nouveau témoignage vient remettre en perspective notre vision des évènements. A l'arrivée, la mission d'Abigaël Martini tient autant de l'exploration de l'âme humaine que de l'enquête policière. N'est-ce pas là le lot des meilleurs polars ? Celui-ci se pare d'onirisme et de poésie, de discours social jamais lourdingue (et Dieu sait que c'est rare en bande dessinée) et d'un humour appréciable car jamais envahissant.

La nuit des enfants, poétique et intelligent, confirme que Thomas Azuélos tient avec Abigaël Martini une série hautement valable. Reste à espérer qu'elle sache se renouveler à l'avenir...