3 fois rien
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 08/09/2009 (Tags : rien fois   auteur citation vie france
Stéréotypes et grosses ficelles se croisent dans cette histoire de gangsters sans réelle surface d'adhésion. Par le scénariste des Rêves de Milton, pourtant.
On croyait le label KSTR destiné à n'héberger que des nouveaux venus, trouvant dans ce refuge un nid douillet pour faire leurs premières armes. Si l'hypothèse est
exacte pour le dessinateur Benjamin Jurdic, elle ne se vérifie pas pour le scénariste Frédéric Féjard, déjà auteur des deux tomes des Rêves de Milton aux éditions Dupuis (dans la collection Aire Libre, tant qu'à faire). Inutile pourtant de placer trop d'espoir dans cet album judicieusement intitulé 3 fois rien (aïe, on va se faire allumer pour avoir cédé à une telle facilité).
L'intrigue brasse sans enthousiasme les 1001 ingrédients du polar noir : la mallette de diamants, les morts à intervalles réguliers, les nichons occasionnels, les flics ripoux, l'avocat transpirant, le caïd sûr de lui, le bodyguard musculeux, le petit malfrat qui sort de taule, la super-nana pleine de courage, la pute, l'obsédé, et le héros-malgré-lui-que-franchement-il-aurait-su-il-aurait-pas-venu. Ce dernier, seul personnage à présenter un semblant de relief, est malheureusement bien trop absent de l'ensemble de l'album pour qu'on puisse ressentir une réelle sympathie à son égard. Du coup, on regarde avec perplexité les diamants passer de main en main, en soupçonnant les auteurs d'avoir été embarrassés par leur format de 144 pages apparemment difficile à remplir (pour une fois, les 46 pages réglementaires auraient peut-être aidé à resserrer un chouia le récit). A tout prendre, l'album est toujours plus intéressant que l'épuisant Instinct sauvage, lui aussi sorti récemment chez KSTR. Mais question thriller à embrouilles, on a vu bien trop de franches réussites pour se satisfaire de ce sac de grosses ficelles.
Si le scénario est donc une vive déception, simple suite de rebondissements sans âme, on ne reprochera pas au dessin de Jurdic son manque de clarté ou de dynamisme : déjouant les attentes de la couverture qui semblait annoncer une esthétique stylisée à tendance manga, le dessinateur propose un graphisme à la croisée du comique et du réaliste, évoquant les bd semi-sérieuses du journal Spirou. Le résultat n'a rien d'une révolution, mais a le mérite de servir le propos (ne parle-t-on pas de "service Jurdic", après tout ?), et jouit par endroits d'une colorisation quasiment monochrome (vert glauque, mauve crépusculaire) qui sied bien à l'ambiance "polar".
Dommage, finalement, que 3 fois rien apparaisse comme une sorte de commande exécutée sans entrain, alors que KSTR est supposé être un labo pour expérimenter les projets les plus fous (quitte à ce qu'ils soient TROP fous pour être compris). Espérons retrouver bientôt Féjard et Judic sur d'autres rivages, ensemble ou séparément.
Et sérieusement, cette fin... C'est une blague ?